RENOUVELABLE ?

France stratégie diffuse une note très commentée (par exemple ici ou ici) sur les prélèvements et consommation d’eau en France hexagonale et Corse, deux ans après la publication DATALAB de la première évaluation de l’eau renouvelable et de sa raréfaction.

 

Les mots ne sont pas innocents et le choix du terme « renouvelable » n’est pas neutre. Il évoque le vent et la lumière, dont le premier caractère partagé avec l’eau est celui d’être des Communs. France Stratégie s’appuie sur la définition proposée par l’Agence européenne de l’Environnement (Index d’exploitation hydrique — European Environment Agency (europa.eu)), et l’on devine à la lecture de la note une vision très minière de la « ressource » en eau.  D’ailleurs, les auteurs mettent en regard avec cette « ressource renouvelable », les eaux non renouvelables que l’on ne doit pas exploiter : nappes fossiles ou à renouvellement très lent. Étonnamment, la note produit une définition erronée des Débits de Crise, « en dessous desquels seules les exigences de santé, de salubrité publique, de sécurité civile et d’alimentation en eau potable et les besoins des milieux naturels [seraient] satisfaits » : en réalité, c’est le débit en dessous duquel ils ne sont justement plus satisfaits. On touche du doigt la tragédie des communs que les préfets affrontent chaque semaine d’étiage : la tentation d’exploiter la ressource « jusqu’à la dernière goutte ». En illustration, la carte de bassins qui connaissent plus d’un mois d’interdiction de prélèvement par an, ne vient pas de la note 136 de France Stratégie, mais du rapport de DATALAB de 2022.

 

Les chiffres fournis par France Stratégie sont saisissants : un recul de 14 % en 15 ans de la ressource en eau renouvelable ; un prélèvement de 34 milliards de m3, dont 4,4  milliards de m3 sont consommés. Là encore les définitions sont importantes et France Stratégie s’est même attelée à évaluer une consommation jamais officiellement diffusée : le surcroît d’évaporation lié à la présence de stockages d’eau artificiels à la place de zones végétalisées. L’évaporation de ces surfaces d’eau libre excède de 1 milliard de m3 celle qui se produirait si la végétation était restée à leur emplacement. (Si vous avez du mal à le visualiser, 1 milliard de m3 correspond à un cube d’eau de 1 km sur 1 km sur 1 km.)

 

Les faramineux prélèvements pour le refroidissement des centrales nucléaires (10,5 milliards de m3), surtout dans la vallée du Rhône, sont pointés du doigt, mais ils mériteraient une classification à part, car il s’agit plus de réchauffage que de prélèvement. Le SMEGREG s’étonne de son côté que le prélèvement, lui aussi massif (4,7 milliards de m3 d’eau saumâtre), de la centrale du Blayais ne soit pas compté. Cela s’explique par l’utilisation d’eau saumâtre dans ce cas – hors comptabilité en eau douce.

 

La lecture des chapitres sur l’irrigation montre en creux la position spéciale de l’agriculture vis-à-vis de la sobriété. On entend plutôt « efficience » que « économies » et on a le sentiment que ce qui est économisé dans l’agriculture reste dans l’agriculture (+78 % de surfaces irriguées en Artois Picardie).

 

La note aborde par la marge quelques sujets intéressants.

 

La question du grand cycle de l’eau et en particulier la prise en compte de la partie aérienne du cycle (alimentée par les consommations évaporées) est abordée : l’eau évaporée finit toujours par retomber. Mais France Stratégie clôt le débat en considérant que la comptabilisation nationale de ce cycle aérien qui dépasse très largement nos frontières serait peu significative (et complexe, peut-on ajouter).

 

Les auteurs interrogent aussi, malicieusement, la convention française qui veut que les fuites des réseaux d’eau potable soient comptabilisées comme une consommation alors qu’elles retournent directement et intégralement au milieu.

 

Autre convention, les volumes turbinés par les barrages hydroélectriques ne sont pas comptabilisés en prélèvements, ce qui se justifie par l’idée que l’eau turbinée serait rejetée dans le même état (ni réchauffée ni polluée) presque à l’endroit où elle est prélevée. Ce n’est valide que pour les barrages au fil de l’eau. En réalité ces dérivations de très gros volumes (par exemple 90% du débit de la Durance chemine hors de la Durance) vers des biefs, des canaux ou des conduites forcées créent des tronçons court-circuités plus ou moins longs qui subissent les impacts réels de ces diversions. Ces volumes dérivés mériteraient d’être comptabilisés en tant que tels en complément des prélèvements.

 

La note évalue à 30 % les volumes d’irrigation qui servent pour l’exportation : les amateurs du concept d’eau virtuelle peuvent retenir ce chiffre : 1 milliard de m3 de l’eau virtuelle agricole française exportée provient de l’irrigation.

 

Pour conclure, France stratégie souligne le besoin d’une connaissance bien territorialisée et mieux saisonnalisée des prélèvements et des consommations. Est-ce que le monde agricole, qui aspire à la simplification administrative, se laissera facilement convaincre de déclarer plus fréquemment ses consommations (à ce sujet, cette étude énonce les conditions d’acceptabilité du compteur communiquant en irrigation) ? L’institution annonce finalement la diffusion, au second semestre, d’un travail qui permettra d’identifier les territoires et les périodes où des conflits d’usage pourront potentiellement advenir, sous différents scenarii d’usage et climatiques. La carte ci-contre en est sans doute une bonne préfiguration.

 

Le lien vers la page de France Stratégie qui donne accès à la note d’analyse 136 et à son annexe méthodologique.

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