Simul’eau, promouvoir la gestion intégrée des masses d’eau

COLLECTIVITES, GOUVERNANCE

Dans le cadre du projet de recherche intervention InterSAGE 2009 – 2014, Lisode, INRAE et une vingtaine de structures partenaires (syndicats mixtes, services de l’Etat, collectivités territoriales, etc.) se sont mobilisés pour concevoir et animer une démarche de modélisation d’accompagnement en appui à la gouvernance de l’eau entre les bassins versants littoraux de l’Orb, de l’Astien et de la basse vallée de l’Aude. L’originalité de la démarche repose sur un outil de simulation et de concertation de type jeu de rôles ou serious game qui reproduit le fonctionnement d’un bassin versant sur le plan quantitatif. L’action a réuni plus de 130 participants qui ont produit ensemble des recommandations pour une meilleure gouvernance de l’eau sur le territoire étudié.  Ce jeu de rôles a ensuite été déployé sur d’autres territoires.

Contexte

L’outil a initialement été mobilisé dans l’Hérault sur des questions de gestion quantitative de l’eau. Il a été développé par le bureau d’étude Lisode, de 2009 à 2011, dans le cadre du projet InterSAGE sur financement du programme LITEAU du Ministère de l’Ecologie, en partenariat avec INRAE et en collaboration avec le Syndicat Mixte des Vallées de l’Orb et du Libron (SMVOL) et le Syndicat Mixte d’Etudes et de Travaux de l’Astien (SMETA). Le jeu de rôles Simul’Eau a été élaboré pour agir sur les enjeux relatifs à la gestion quantitative de l’eau interbassin sur les bassins versants de l’Orb, de l’Aude, et de la nappe astienne.

L’outil a ensuite été réadapté pour traiter la problématique des plans de gestion quantitative de la ressource en eau. En 2015, ce jeu de rôles a donc été utilisé sur le bassin versant de l’Orb, avec un financement de l’Agence de l’Eau Rhône-Méditerranée-Corse, pour pouvoir rendre compte de l’Étude de détermination des volumes prélevables et préparer la discussion sur les Plans de gestion de la ressource en eau. En 2016-2017, ce dispositif a également été déployé sur le bassin versant de la Cèze (Gard) et sur le bassin versant du Midour (Gers et Landes). En 2019, il a été décliné dans le cadre d’Adour en jeu, un jeu de rôles en appui à la gestion quantitative de l’eau sur le bassin versant situé en amont d’Aire-sur-l’Adour.

Par ailleurs, l’outil est aussi utilisé à des fins pédagogiques et de formations pour permettre aux acteurs de mieux se saisir des enjeux de la gestion de l’eau.

Problématique et objectifs

La gestion quantitative de l’eau fait l’objet de nombreux conflits d’usages. Le passage par le « serious game » permet à chacun de se plonger à travers le jeu dans les problématiques d’autres acteurs. Trois résultats peuvent être particulièrement visés. Premièrement, l’approche répond à un objectif instrumental en contribuant aux objectifs de la politique. Les participants proposent des solutions aux problèmes de l’eau et établissent des compromis. Deuxièmement, elle répond à une dimension sociale et d’apprentissage par la création de liens entre les acteurs du territoire et une meilleure connaissance des enjeux. Enfin, elle répond à un impératif démocratique et peut contribuer à créer ou renforcer une culture du dialogue dans la gestion de l’eau.

Le jeu peut également permettre de mettre en débat des études techniques et des indicateurs utilisés dans le cadre de la gestion de l’eau.

Solutions et résultats

Le projet a démarré en 2009 et s’est déroulé sur trois ans. La mise en œuvre de la démarche de modélisation d’accompagnement s’est déroulée de la façon suivante :
-Analyse du contexte (état des connaissances et des outils existants, enquêtes, production d’un diagnostic de la gouvernance en place)
-Développement d’un pré-modèle
-Organisation d’ateliers de modélisation participative pour consolider ce pré-modèle
-Production d’un modèle conceptuel unique partagé (jeu de rôles)
-Exploration de scénarios via l’organisation d’ateliers de jeux
-Evaluation de la démarche

Un groupe d’acteurs est associé en amont de la procédure pour prototyper le jeu jusqu’à obtenir une version stabilisée et adaptée au contexte d’intervention. Lors des ateliers, la séquence d’utilisation en elle-même comprend un jeu de rôle de 1h30 avec plusieurs simulations de gestion en période d’étiages puis un échange collectif sur les solutions proposées. Plus concrètement, le jeu met en scène le partage des masses d’eau entre les différents acteurs qui en sont utilisateurs, qu’ils soient agriculteurs, usagers de loisirs, élus, usagers d’eau potable, etc. Le jeu s’apparente à un jeu de plateau, avec en particulier des pions et un plateau de jeu figurant un espace, mais s’en distingue par la simulation qu’il propose et où l’objectif est de réfléchir collectivement sur les modalités de gestion de l’eau.


Atelier de travail Simul’eau (Lisode,2021)

L’évaluation conduite en cours et en fin de projet via des questionnaires et des entretiens a permis de mettre en lumière les apprentissages : construction d’une vision commune du système ; mise en lumière des points clés où une collaboration doit s’établir ; création de confiance entre les différents gestionnaires ; reconnaissance réciproque de la légitimité de chacun ; et enfin dépassement de certaines oppositions de valeurs. Le passage par l’utilisation conjointe de la simulation et de la participation permet d’élaborer une vision plus partagée sur les enjeux du territoire et permet d’établir des recommandations pour une meilleure gouvernance de l’eau et du partage de la ressource. Un participant témoigne ainsi que « le côté ludique du jeu de rôles a enlevé, un temps, les conflits qu’il peut y avoir, et a permis une discussion plus objective ».

Le jeu permet aussi de créer une dynamique de groupe positive, et facilite les échanges entre les participants. Le fait de créer un référentiel commun (à travers le vécu), de visualiser les évolutions possibles du territoire permet enfin de responsabiliser les participants (en l’occurrence des usagers).

En outre, les jeux permettent de représenter des données issues d’expertises complexes, de façon adaptée et compréhensible. Les avantages de cet outil sont donc de permettre à des non-techniciens de s’approprier des notions complexes, mais aussi les résultats qui en découlent, puis de les débattre d’une façon objective.

Limites et conditions de réussite

En tant que démarche participative, Simul’eau a rencontré des difficultés communes à ces actions. La rigidité des processus des politiques publiques restreint l’utilisation des résultats. Des difficultés résident pour rendre compte des effets de cette méthode sur la gouvernance et sur les décisions.

Le dispositif est reproductible pour d’autres territoires et pour d’autres problématiques, mais peut impliquer la mise en place d’ateliers et l’animation par des professionnels. Par ailleurs, l’application d’un jeu sur un territoire donné peut en effet engendrer de la conception sur-mesure qui nécessite du temps d’ingénierie.

Il est également à prendre en compte qu’en fonction du contexte, ce type de dispositif peut faire l’objet de critiques (hors sol, déconnecté des enjeux, sans effet, … ) et que des préjugés restent encore présents sur les serious games. L’utilisation doit donc s’inscrire dans un dispositif plus complet tant du point de vue de l’expertise que du dispositif de concertation.

Retour d’expérience

L’utilisation du jeu de rôles comme étape introductive de la concertation citoyenne dans le cadre du Projet de territoire Adour Amont

Dans le cadre du Projet de territoire pour la gestion de l’eau sur l’Adour en amont d’Aire, l’Institution Adour s’est engagée dans une démarche fondée sur la concertation entre les acteurs de l’eau afin de résorber le déséquilibre quantitatif structurel observé sur ce bassin.

Pour mener à bien la première phase de diagnostic du projet de territoire Adour Amont (PT3A), l’institution Adour, accompagné par Lisode, a organisé 10 cafés-débat entre juin et octobre 2019. L’objectif de ces cafés débats était tout à la fois de sensibiliser les citoyens et de leur permettre de s’exprimer sur les solutions à mettre en œuvre pour répondre au déséquilibre de la ressource en eau dans la durée.

Les cafés-débat ont été organisés dans des bars et cafés du territoire avec pour ambition de toucher le plus de public possible. L’ensemble des citoyens était convié à cette démarche et a été sollicité via une campagne d’information dans la presse, par affichage, par flyer, par mail et par diffusion sur les sites de l’institution Adour et de ses partenaires. Les cafés-débat se déroulaient autour d’un jeu de rôles « Adour en jeu » inspiré de Simul’eau. Pour accélérer la démarche, le jeu n’a pas été co-construit avec les joueurs comme pour Simul’eau mais s’est basé sur les données diagnostic du PT3A qui a impliqué tous les acteurs de l’eau.

Le projet a été mené en 4 mois. 10 cafés-débats ont été réalisés et ont réuni 50 personnes dans des lieux de vie et de convivialité du territoire tels que des bars et des cafés. Le café débat s’organisait en plusieurs temps. Une présentation des enjeux et du jeu, trois tours du jeu puis un échange collectif permettant de revenir sur les éléments marquant de la simulation. Un questionnaire était également remis aux participants pour qu’ils évaluent le café-débat.

Le dispositif en lui-même se présentait sous la forme d’un plateau de jeu représentant de manière simplifiée le réseau hydrographique de l’Adour Amont ainsi que les usages. L’eau était représentée par des billes que les usagers prélevaient tout au long de l’écoulement. Les joueurs prenaient le rôle d’un des acteurs (agriculteurs, gestionnaires de l’eau, coopérative agricole, élus) et devaient réaliser leurs objectifs individuels tout en évitant une situation de pénurie (évaluée par la tenue du DOE). Ils avaient pour cela des actions possibles à chaque tour correspondant aux moyens d’action de ces acteurs. Trois tours étaient organisés (année humide correspondant à l’année 2014 sur le bassin, année sèche correspond à l’année 2016 sur le bassin, sous contrainte du changement climatique correspondant à l’année 2050 dans la prospective Adour 2050).  Le jeu permettait ainsi de créer une tension sur l’eau de plus en plus forte tout en gardant en tête les exemples réels.

Au terme de cette étape, il a été possible de recueillir des propositions des participants qui ont été compilés dans une synthèse intégrant également les résultats du questionnaire.

Pour l’institution Adour, la participation du public est modeste avec en moyenne 5 participants par café-débats, même si seulement quelques participants se sont révélés hostiles au jeu ou rebutés par le jeu. Les résultats les plus significatifs ont trait à la sensibilisation du public et à la modification des représentations des problématiques et des usages en particulier agricoles. Les propositions d’actions ne sont généralement pas utilisables (trop peu pertinentes, trop peu cohérentes, pas réalisables). Les échanges les plus pertinents sont relatifs aux questions de justice dans l’utilisation des ressources en eau entre les usagers. Au terme de cette action, il n’est pas possible de distinguer des impacts sur le territoire.

L’institution Adour préconise plusieurs axes pour reproduire cette solution. D’une part, prévoir des durées plus longues pour les séquences de jeu pour un débat plus riche puisque le jeu demande une petite adaptation et d’autre part, entreprendre une communication plus efficace en recourant par exemple aux services d’experts en communications.

Par ailleurs, le jeu reste largement réutilisable dans d’autres contextes. L’essaimage peut donc se concevoir en utilisant le jeu avec des publics différents. C’est le cas avec l’utilisation pour sensibiliser de nouveaux élus aux enjeux et arbitrages dans la gestion de l’eau. Le jeu de rôles peut également être utilisé comme une introduction pour des groupes qui vont ensuite travailler sur cette problématique. Il peut servir pour animer une action pédagogique auprès d’un public scolaire. Le jeu a d’ailleurs été utilisé dans des lycées agricoles avec des filières agricoles et techniciens de gestion de l’eau permettant ainsi de faire discuter les étudiants des deux filières qui sont souvent assez antagonistes sur la gestion de l’eau.

Propos recueillis auprès de Florian Urban, Animateur du projet de territoire pour la gestion de l’eau de l’Adour amont, Institution Adour, contact : pt.adouramont@institution-adour.fr

Contacts

Mathieu Dionnet, Lisode :  mathieu.dionnet@lisode.com

Laetitia Guérin Schneider, Inrae: laetitia.guerin@inrae.fr

Liens

Présentation sur le site de Lisode
Film de présentation de l’outil
Recension par l’association ComMod
Recension sur le programme d’appui à la concertation environnementale Comedie
Recension par la revue Espaces naturels

Dernière modification le 26/03/2024

Ce document a été réalisé avec l’aide financière de :

Fiches associées

Les ministres de la Transition écologique et de l’Agriculture ont confié en 2019 au CGAAER et au CGEDD une mission relative aux relations entre l’eau et l’agriculture dans le contexte du changement climatique.

La sécheresse qu’a connue la France durant l’été 2019 a révélé – de manière brutale – et exacerbé les enjeux de partage de l’eau en situation de pénurie.

En 2019, le comité de Bassin Adour-Garonne (BAG) examinait les pistes de travail identifiées dans son Plan d’Adaptation au Changement Climatique (PACC) pour réduire le déficit en eau du grand Sud-Ouest,