Vérifier l’innocuité des eaux usées traitées sur la vigne, le vin et l’environnement (Irri Alt’Eau)

AGRICULTURE, REUT

Dans un objectif de faciliter le déploiement de la réutilisation des eaux usées traitées pour irriguer la vigne par un système de goutte-à-goutte, la première phase du projet Irri Alt’Eau (2013-2015) avait le double objectif de démontrer la faisabilité technique de la réutilisation des eaux usées traitées en termes de respect des seuils de qualité imposés par la règlementation française et de l’innocuité de ces eaux sur la vigne, le vin et l’environnement. Un suivi analytique renforcé a ainsi été réalisé et a permis la validation de la filière de traitement tertiaire et de l’utilisation d’une eau usée traitée de qualité B et C, au regard de la règlementation française, pour irriguer des vignes par un système de goutte-à-goutte.

Contexte

Les eaux usées traitées, bien que reconnues internationalement comme une ressource alternative, ne sont que très peu réutilisées en France. Elles pourraient pourtant constituer un des principaux leviers pour pallier le manque d’eau, notamment dans les régions où la pluviométrie est la plus faible et l’accès à l’eau limité. Ceci est d’autant plus vrai dans un contexte de croissance démographique et d’adaptation aux effets du changement climatique.

L’augmentation du stress hydrique observée depuis plusieurs années et dont les projections climatiques prévoient une forte aggravation, se traduit sur la vigne par une baisse du rendement et de la qualité de la production. L’utilisation des eaux usées traitées en tant que ressource alternative pour l’irrigation apparaît alors comme une voie d’atténuation possible pour maintenir une production en quantité et qualité suffisante.

Plusieurs études ont montré les bénéfices de cette technique sur le vignoble, notamment du fait des concentrations en éléments nutritifs contenues dans ces eaux pouvant constituer un apport en azote, phosphore et potassium. Toutefois, leur réutilisation est complexe, couteuse, et nécessite le contrôle de la teneur de certains éléments dangereux pour le sol, la vigne, l’homme ou encore l’environnement (figure 1), de la sortie de l’unité de traitement tertiaire, au niveau du sol, des raisins et, ce, jusqu’au vin.

Irri Alt'eau

Figure 1: Principaux éléments contenus dans les rejets de station d’épuration, rouge : dangereux pour les cultures et la santé humaine, jaune : bénéfiques pour la culture.

Dans un objectif de protection de la santé humaine, de la qualité sanitaire des productions agricoles et de l’environnement, la règlementation française fixe des normes de qualité qui ont pour conséquences la nécessité de mise en place d’un traitement tertiaire pour améliorer la qualité des rejets de STEP avant de pouvoir les utiliser pour irriguer les cultures. Tout l’enjeu de celui-ci est de permettre l’atteinte du niveau de qualité imposé par la règlementation, en éliminant les éléments dangereux en préservant les éléments bénéfiques (figure 1).

                      Problématique et objectifs

Le projet Irri Alt’Eau est un programme de R&D collaboratif mené par un consortium entreprise-recherche-collectivités (Cave coopérative de Gruissan, Veolia, Aquadoc, Unité Expérimentale de Pech Rouge (UEPR) et  Laboratoire de Biotechnologie de l’Environnement (LBE) de l’INRAE, agglomération du Grand Narbonne). Il a débuté en 2013 et s’est déroulé en trois phases dont la dernière, lancée en 2019, est toujours en cours (figure 2). Il a notamment pour objectif de développer une pratique raisonnée, compétitive, scientifiquement étayée et durable de l’irrigation de la vigne avec des eaux usées traitées de qualité physico-chimique et microbiologique maîtrisée.

Figure 2: Description succincte des étapes du projet Irri Alt’Eau.

Nous nous intéresserons principalement ici à la première phase du projet (2013-2015) qui avait pour but de vérifier l’innocuité des eaux usées traitées sur la vigne, le vin et l’environnement, et ceci dans un objectif de déploiement de la réutilisation des eaux usées traitées pour irriguer la vigne par un système de goutte-à-goutte.

Des essais poursuivis sur trois saisons d’irrigation et sur deux parcelles expérimentales de l’INRAE Pech Rouge à Gruissan, ont permis de tester et comparer deux types d’eaux traitées, qualités B et C au regard de la règlementation, avec de l’eau de surface dite « agricole » et de l’eau potable (témoin).

  • Un suivi analytique renforcé a été réalisé, à raison de :
    • un prélèvement d’eau hebdomadaire pour le suivi de qualité microbiologique et physico-chimique des eaux usées traitées
    • la collecte aléatoire de 45g de pétioles foliaires sur chaque rang de vigne central de chaque parcelle à la nouaison
    • la collecte de 200 baies par modalité pour vérifier l’innocuité de ces eaux sur la vigne, le raisin et le vin.

Figure 3: Descriptif du projet Irri Alt’Eau et schéma de gouvernance.

Solutions et résultats

Le suivi analytique réalisé sur les eaux usées traitées dans le cadre du projet Irri Alt’Eau a été concluant, quel que soit le type d’eaux traitées utilisées (qualité B ou C) pour irriguer la vigne par un système de goutte-à-goutte. En effet, les analyses montrent une innocuité de ces eaux sur la vigne, le raisin, le vin (tableau 1), le sol et la nappe phréatique, ainsi qu’un respect des seuils de qualité pour l’ensemble des paramètres microbiologiques et physico-chimiques, l’absence de sous-produits de désinfection et de produits phytosanitaires, et de très faibles concentrations de micropolluants métalliques et de résidus médicamenteux (tableau 2). De plus, aucune dégradation de la qualité microbiologique de l’eau de la sortie du prototype jusqu’au point d’usage n’a été observée.

Toutefois, contrairement à l’eau agricole ou l’eau potable, les eaux usées traitées ont une forte teneur en sel et en éléments nutritifs. Ces derniers sont bénéfiques et participent à l’amendement des cultures par l’apport d’une dose additionnelle de fertilisants : jusqu’à 100% du besoin pour l’azote, 75% pour le potassium et 15% pour le phosphore (Etcherbane et al, 2017). À l’inverse, une salinité élevée peut avoir des effets néfastes sur la perméabilité du sol, sa structure et sa capacité d’infiltration, ainsi que sur la plante elle-même.

En démontrant la faisabilité technique de la réutilisation des eaux usées traitées tant au niveau du respect des seuils de qualité imposés par la règlementation, que de l’innocuité de ces eaux sur la vigne, le vin et l’environnement,  le projet Irri Alt’Eau a permis la validation de la filière de traitement tertiaire et de l’utilisation d’une eau usée traitée de qualité B et C au regard de la règlementation pour irriguer des vignes par un système goutte-à-goutte, facilitant ainsi son déploiement sur le territoire français.

Tableau 1 : Analyse de la qualité des vendanges (source : Etchebarne at al, 2015 ; Etcherbarne et al, 2017).

Tableau 2 : Principaux résultats du suivi analytique réalisé sur les eaux usées traitées, DCO : demande chimique en oxygène, MES : matières en suspension (source : Jaeger at al, 2015 ; Etchebarne at al, 2015 ; Etcherbarne et al, 2017).

Limites et conditions de réussite

L’élaboration d’une filière de réutilisation des eaux usées traitées, de la production de ces eaux jusqu’à leur devenir final dans la nature, est un processus complexe.

En 2013, la règlementation française imposait un niveau de qualité B pour l’irrigation de la vigne, quelque-soit le système d’irrigation utilisé. En démontrant que lors d’une irrigation par goutte-à-goutte l’eau n’atteignait jamais les raisins, les porteurs du projet Irri Alt’Eau ont alors obtenu une dérogation pour utiliser des EUT de qualité C.
Suite à la validation de la filière de traitement et de cette qualité d’eau, l’État français a baissé ses exigences en termes de niveau de qualité d’EUT imposé pour l’irrigation de la vigne par goutte-à-goutte.

La teneur en sel des EUT était le deuxième élément à prendre en considération. En effet, selon les directives de la FAO et dans le cadre d’une production agricole, une eau possédant un rapport d’adsorption de sodium (SAR) compris entre 3 et 6, et une ECi supérieure ou égale à 1,2 dS/m, ne présentera aucun risque de modification de la perméabilité du sol, ni de réduction de son taux d’infiltration (Ayers et Westcot, 1994). Lors de la phase d’émergence du projet Irri Alt’Eau, la STEP de Gruissan avait été sélectionnée comme source d’approvisionnement en EUT mais celle-ci rejetait des effluents ayant une teneur en sel trop élevée qui aurait impliqué un surcoût lié à un traitement tertiaire supplémentaire nécessaire. Au contraire, les EUT de la STEP de Narbonne Plage présentaient une salinité compatible avec leur objectif d’utilisation.

Au-delà de ces aspects purement techniques, le succès d’un projet de réutilisation des eaux usées traitées repose également sur l’utilisation de cette solution pour répondre à des enjeux de territoire. Sur les communes concernées par le projet, Gruissan et Narbonne où la pluviométrie est faible en période estivale, l’accès à l’eau brute dite « agricole » limité et les stations d’épurations rejettent leurs influents dans la mer, réutiliser des eaux usées traitées comme ressources alternatives pour l’irrigation des vignes semble être une solution adaptée au contexte local.

  • Ces multiples bénéfices facilitent l’acceptabilité sociale des consommateurs qui ne doit pas être sous-estimée.
    En effet, une première enquête réalisée par des chercheurs de l’INRAE où 850 consommateurs potentiels ont été interrogés, a montré que ceux-ci pouvaient être classés en trois catégories (Garin et al., 2020) :

    • Les défenseurs des EUT qui souhaitent préserver l’environnement, environ 50% des personnes interrogées
    • Les opposer à la REUT pour qui la peur liée au risque sanitaire est trop importante, environ 20% des personnes interrogées
    • Les réticents qui sont en partie rassurés par les campagnes de sensibilisation mais la méfiance de certains pour les médias peut les rendre difficiles à convaincre, 30% des personnes interrogées

Selon le décret n°2006-1527 relatif à l’irrigation des vignes aptes à la production de vins AOC, l’irrigation est autorisée entre le 1er mai et le 15 août avec possibilité de déroger à cette interdiction sous certaines conditions.

Le décret n°2017-1327 modifiant le décret n°2006-1527 vient faciliter les conditions d’obtention de ces dérogations, notamment lorsque celle-ci a pour objectif de compenser un stress hydrique pouvant mettre en péril la qualité du raisin ou la pérennité de la plante.

Aspects économiques

Le projet Irri Alt’eau a bénéficié de soutiens financiers de la part du Fonds Feder, la Région Occitanie, la Bpifrance Languedoc Roussillon Midi Pyrénées, l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse, l’agglomération du Grand Narbonne, des entreprises et organismes partenaires, ainsi que d’un accompagnement par l’AD’OCC.

Le prix de l’eau est variable selon la qualité de l’eau produite et dépend donc du type de traitement mis en place.
Ainsi, dans le cadre du projet Irri Alt’Eau, le prix des eaux usées traitées a été évalué à 0,70€/m3, soit un prix plus élevé que l’eau dite « agricole », 0,35€/m3 en moyenne, mais moins important que l’eau potable, 1,30€/m3 en moyenne (Page INRAE, 2020).

Une question subsiste : jusqu’à quel point celui-ci reste acceptable pour l’agriculteur ?

Regards de chercheurs

« Lorsqu’on utilise des eaux usées traitées pour irriguer les cultures, il est important de mettre en place un suivi régulier de la qualité de l’eau pour éviter tout problème mais aussi pour évaluer la teneur en éléments nutritifs de ces eaux afin d’adapter les doses d’engrais à apporter aux cultures.
Des purges et nettoyages réguliers du réseau d’irrigation permettent d’éviter les éventuels problèmes de colmatage. »

M. Ojeda
ingénieur de recherche à l’INRAE Viticulture, Ecophysiologie, Qualité du raisin à l’unité expérimentale de Pech Rouge à Gruissan

Contact

Hernán OJEDA
Ingénieur de recherche Viticulture, Ecophysiologie, Qualité du raisin
hernan.ojeda@inrae.fr

Liens

JAEGER Y., ETCHEBARNE F., RAMPNOUX N., SIRE Y., ESCUDIER J.L., OJEDA H., PALANCADE L., GORAL B., 2015. Chemical and microbiological composition of treated wastewaters for grapevine drip irrigation. First results. Proceeding of XIX Internationnal Meetong of Viticulture GiESCO, Vol.1, 117-120.

ETCHEBARNE F., ECHEGOYEN M., SIRE Y., ESCUDIER J.L., JAEGER Y., GORAL B.,OJEDA H., 2015. Irrigation of grapevine using treated wastewater: effects on fruit composition and plant nutriment status. First results. Proceeding of XIX Internationnal Meeting of Viticulture GiESCO, Vol.1, 51-56.

ETCHEBARNE F., ECHEGOYEN M., PAREYRA G., VAN6HOUTEN S., SIRE Y ., ESCUDIER J.L., TORRIJOS M., WERY N., SANTA-CATALINA G., PATUREAU D., JAEGER Y., GORAL B., RAMPNOUX N., OJEDA H., 2017. Irri-Alt’Eau – Recycled water management strategy as a local water source for grapevine drip irrigation. 20th GiESCO International Meeting. Book of Full Manuscripts, pp 597-600.
Article à demander aux auteurs

Page INRAE, 2020, Réutiliser les eaux usées pour irriguer la vigne.

GARIN P., MONTGINOUL M., NOURY B., 2020. Waste water reuse in France – Social perception of an unfamiliar practice. Water Science and Technonoly : Water Supply, IWA Publishing.

Dernière modification le 26/03/2024

Ce document a été réalisé avec l’aide financière de :

Fiches associées

Le portail sur l’assainissement collectif de la Direction de l’eau et de la biodiversité du ministère de la Transition écologique

En matière d’eau, la zone sud-ouest de l’Europe fait face à des défis communs, notamment ceux de la raréfaction de la ressource en eau, de l’intensité et de l’allongement des périodes de sécheresse.

Il y a quelques jours avait lieu le lancement du projet de recherche #SOLLAGUA à Toulouse.