Sensibiliser au changement climatique par l’apprentissage intergénérationnel

PARTICULIERSCHANGEMENT CLIMATIQUE

L’action collective nécessaire pour atténuer le changement climatique et s’y adapter est extrêmement difficile à réaliser, en grande partie à cause des préjugés socio-idéologiques qui perpétuent les représentations du changement climatique. Étant donné que les perceptions du changement climatique chez les enfants semblent moins sensibles à l’influence de la vision du monde ou du contexte politique, il est possible qu’ils puissent encourager les adultes à se préoccuper davantage du climat et, par conséquent, à agir collectivement. L’apprentissage intergénérationnel d’enfant à parent présenté dans cet article s’avère en effet une voie prometteuse pour surmonter les obstacles socio-idéologiques à la préoccupation climatique.

Contexte

En 2020, seulement 63% des Français sont convaincus de l’existence d’un changement climatique d’origine anthropique (Sondage OpinionWay pour l’ADEME, 2021). Cette représentation est fortement dépendante des facteurs socio-idéologiques. En effet, les hommes politiquement conservateurs sont parmi les plus sceptiques et les moins impliqués. Cette population s’avère d’ailleurs d’autant plus difficile à convaincre que l’idéologie politique pèse tout autant sur les informations reçues à propos du changement climatique que sur les manières de les interpréter.

Problématique et objectifs

Aux États-Unis, différentes stratégies de communication ont pu être testées pour convaincre les citoyens :
-Aligner les valeurs des actions de lutte contre le changement climatique avec les valeurs d’un groupe (ex. : actions des groupes chrétiens pour aligner les efforts d’atténuation sur les valeurs chrétiennes fondamentales);
-S’appuyer sur la légitimité ou la confiance en des personnalités populaires qui en relayant des informations sur le changement climatique rendent le message plus conforme aux normes sociales d’un groupe ciblé (ex. : Leonardo DiCaprio ou Al Gore aux USA).

Ces stratégies de communication, bien qu’utiles, restent relativement ponctuelles et difficiles à mettre en œuvre à une échelle plus large.  La recherche présentée ici propose de mobiliser la technique de l’apprentissage intergénérationnel (Intergenerational learning) qui se révèle être une stratégie de communication capable d’impliquer davantage de citoyens et cela indépendamment de leurs caractéristiques sociales, culturelles ou idéologiques.

Cette recherche publiée en 2019 dans Nature Climate Change a été menée en Caroline du Nord aux États-Unis. Elle est issue d’une recherche-action interdisciplinaire de chercheurs de la North Carolina State University. Elle repose sur un travail de suivi de 2 ans auprès d’adolescents et leurs parents.

Solutions

L’apprentissage intergénérationnel est une méthode de formation des élèves visant également à influencer indirectement un public adulte. Encore peu explorée pour susciter l’intérêt des citoyens pour le changement climatique, elle permet pourtant de toucher des populations socialement et idéologiquement plurielles et cela principalement en raison des convictions socio-idéologiques beaucoup plus faibles chez les adolescents et du fait que les enfants influencent leurs parents sur toute une série de sujets socio-idéologiques.

Plus concrètement, la démarche a consisté à former des enseignants à un cours sur l’adaptation au changement climatique. Les enseignants ont ensuite réalisé quatre activités en classe et une formation par action directe sur le terrain. En effet, les programmes qui obtiennent les meilleurs résultats sont ceux qui intègrent des approches pratiques, qui mettent l’accent sur les questions locales, qui proposent des expériences sur le terrain et qui encouragent la participation des parents. L’ensemble des supports de formation (en anglais) est disponible sur le site internet de la North Carolina State University.

Le programme de formation a été mis en cohérence avec les exigences éducatives nationales. Il se compose des modules ci-dessous.

Module 1 : Météo, Climat et vie animale

Les élèves recueillent des données météorologiques locales, les inscrivent sur un graphique et les superposent aux températures moyennes sur 30 ans pour cet endroit. Ils jouent ensuite à un jeu pour comprendre la différence entre la météo et le climat et leurs impacts sur les espèces sauvages locales.

Module 2 : Climat et habitat naturel

Les élèves créent des cartes des températures et des précipitations moyennes de leur région. Ils les superposent ensuite à des cartes de végétation et d’aires de répartition de la faune et de la flore et utilisent ces comparaisons pour examiner les facteurs qui influent sur le climat régional et la façon dont ils déterminent l’habitat de la faune et de la flore.

Module 3 : S’adapter au changement

Les élèves participent à une activité d’apprentissage croisée (jigsaw activity) dans laquelle différents groupes d’élèves deviennent des experts sur un impact majeur du climat sur la faune (élévation du niveau de la mer, transformation des habitats et changement des repères saisonniers) ou sur une réponse de gestion (gestion adaptative, collaboration ou conservation et restauration des habitats). Les enseignants mélangent ensuite ces groupes de telle sorte qu’un représentant de chaque groupe d’experts soit représenté dans un nouveau petit groupe. Ces groupes sont ensuite invités à réfléchir aux impacts probables sur une espèce sauvage locale et à la réponse à apporter en matière de gestion.

Module 4 : Faire notre part

Les élèves remplissent un calculateur d’empreinte écologique en ligne et réalisent une activité pour relier leurs actions personnelles au renforcement de la résilience de la faune et de la flore au changement climatique.

L’utilisation d’un calculateur d’empreinte eau (ex. : empreinte H2O qui propose un calculateur pour adulte et enfant :  http://www.empreinteh2o.com/ ) permettrait d’adapter facilement ce module à des problématiques de gestion de l’eau.

Module 5 : Participation concrète à l’adaptation au changement climatique

Pour ce module particulier, les élèves participent à trois activités distinctes. Première activité, ils contribuent directement à une activité d’adaptation au changement climatique en partenariat avec une collectivité ou une communauté locale. Des élèves ont ainsi participé à la construction de récifs d’huîtres et de jardins de pluie, à la plantation d’espèces végétales pour lutter contre la montée des océans ou encore au suivi des nids de tortues de mer. Deuxième activité, les élèves interviewent leurs parents/tuteurs sur les problématiques du changement climatique et enfin troisième activité, ils rédigent un billet de blog de réflexion sur le changement climatique.

Cette formation a été développée pour des élèves de Caroline du Nord, mais il est tout à fait possible d’adapter la formation à des enjeux plus spécifiques au grand Sud-Ouest français et avec un focus sur les problématiques de l’eau. Au regard de l’âge des participants, cette bonne pratique s’adresserait en France plutôt à un public de collégiens.

Résultats

L’étude a consisté ensuite à suivre 238 familles (dont un groupe témoin) pendant deux ans avec une analyse des effets sur les enfants (10-14 ans) et sur leurs parents. Les données ont été récoltées par questionnaire d’évaluation de la sensibilité au changement climatique. Les enfants et parents ont été interrogés une première fois avant la formation puis une seconde fois après la formation.

L’étude a permis de mettre en lumière quatre résultats :

-Après la formation, les enfants participants sont plus concernés par la question du changement que le groupe de contrôle dont l’opinion n’a pas évolué durant les deux années. Au terme des deux ans, ils obtiennent un score de « sensibilité au changement climatique » de 12,5% plus élevé que le groupe de contrôle. (2,05 points de plus que le groupe témoin sur une échelle de 16 points allant de -8 à +8)
-Les enfants participants ont suscité une plus grande préoccupation pour le changement climatique chez leurs parents que ceux du groupe témoin. Les parents des adolescents participants obtiennent un score de sensibilité au changement climatique supérieur de 26,8% (en moyenne 4,29 points de plus) et cela même si les préoccupations pour le changement climatique ont pu évoluer positivement dans le groupe témoin durant la période.
Les changements dans la sensibilité au problème du changement climatique sont plus importants parmi les groupes qui sont généralement les plus résistants à la communication sur le changement climatique. Plus précisément, les parents politiquement conservateurs qui avaient les niveaux d’inquiétude les plus bas avant l’intervention ont montré les plus grands gains dans l’inquiétude du changement climatique (Figure 1). Les pères dont les scores sont classiquement plus bas que ceux des mères ont plus fortement évolué. Leur sensibilité au changement climatique a progressé plus fortement que celle des mères (Fig. 2). Les parents masculins ou conservateurs ont plus que doublé leur score de sensibilité au changement climatique entre le début de l’étude et la fin.
Les filles semblent particulièrement efficaces pour susciter de l’intérêt pour le changement climatique (plus que les fils), mais la raison de cette différence reste encore inconnue (Fig. 3).

Par ailleurs et de manière plus indirecte, ce projet a reçu une couverture médiatique favorable dans la presse locale et a fait l’objet d’échanges et conversations plus informelles au sein des populations locales.

Score de sensibilité au changement climatique des parents en fonction de l’idéologie politique (groupe témoin « a » et groupe participant « b »)


Score de sensibilité au changement climatique des parents en fonction du genre (groupe témoin « a » et groupe participant « b »)


Score de sensibilité au changement climatique des parents de garçon vs de fille (groupe témoin « a » et groupe participant « b »)

Limites et conditions de réussite

Pour faciliter la réplication de cette démarche, les auteurs ont mis à disposition des annexes détaillées présentant les formations. Il est donc possible de s’inspirer de ces outils assez facilement et de trouver une formule adaptée au contexte. En complément, les auteurs renvoient aussi à une base de données sur les formations qui pourraient alimenter les réflexions.

L’évaluation des effets telle qu’elle a été réalisée dans cette recherche est en revanche un dispositif assez lourd à mettre en place. La formule pourrait être allégée en utilisant des données plus qualitatives ou en réduisant la taille de l’échantillon.

Contact

Danielle F. Lawson, e-mail: danielle_lawson@ncsu.edu

Liens

Lawson, D.F., Stevenson, K.T., Peterson, M.N. et al. Children can foster climate change concern among their parents. Nat. Clim. Chang. 9, 458–462 (2019). https://doi.org/10.1038/s41558-019-0463-3

Annexes (en anglais)

Documents de formation (en anglais) : Wildlife, Weather, Climate & Change Module

Base de données sur les formations au changement climatique (en anglais) : Cleanet

Dernière modification le 23/10/2024

Ce document a été réalisé avec l’aide financière de :

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