Vue panoramique de la ville de Brive

Rémunérer la sobriété grâce au contrat de performance (BRIVE)

COLLECTIVITÉS, GESTION DE LA RESSOURCE, AEP, SCIENCES COMPORTEMENTALES

La communauté d’agglomération du bassin de Brive (Corrèze) a mis en place un contrat de performance pour son service d’eau potable afin de préserver la ressource en eau sur son territoire. Ce contrat vise à réduire la consommation d’eau, en rémunérant le concessionnaire selon sa performance plutôt qu’en fonction des ventes d’eau. Ce contrat inclut un ticket d’entrée annuel remboursable basé sur l’atteinte de 14 objectifs mesurables. Parmi les actions, le concessionnaire SUEZ s’engage à réduire les prélèvements d’eau de 8,05 à 6,36 Mm³/an sur 7 ans, en améliorant les performances des réseaux et en incitant les usagers à économiser l’eau. Le projet DEM’EAU, intégrant des sciences comportementales, accompagne ce contrat en évaluant et testant des solutions d’économie d’eau, impliquant des usagers par divers outils et actions pour les sensibiliser et modifier les comportements. Le coût global du projet est de 743 k€, et son efficacité repose sur une collaboration étroite entre les services de l’Agglo de Brive et SUEZ.

Contexte

La communauté d’agglomération du bassin de Brive (Corrèze) existe sous son extension actuelle depuis 2014. Elle regroupe 48 communes représentant 107 000 habitants. L’Agglo de Brive est l’autorité organisatrice de l’Alimentation en Eau Potable (AEP) sur 37 communes de son territoire auxquelles s’ajoute la commune de Coubjours. Ces territoires étaient couverts, en 2014, par trois délégations de service public (DSP) en vigueur pour l’alimentation en eau potable (AEP) et autant pour l’assainissement. Les élus ont alors choisi de faire converger les échéances des contrats eau et assainissement, anciennement passés sur la Ville de Brive, avec celles des autres contrats, fixée au 31 décembre 2021. Ce délai a permis à la collectivité de concevoir le nouveau contrat de concession « eau et assainissement », en tenant compte en particulier de ses contraintes d’approvisionnement en eau.

Problématique et objectifs

Les tensions sur l’approvisionnement en eau potable sont courantes en Corrèze, où le recours aux eaux superficielles est prédominant (70%) ; celles-ci sont essentiellement issues de bassins versants situés sur le socle cristallin. Les étiages des cours d’eau sollicités (La Couze, Le Biou et La Vézère) sont mal soutenus par ces aquifères, qui sont petits et peu productifs.
L’Agglo de Brive exploite également d’autres ressources moins fragiles mais moins importantes, sur des aquifères karstiques ou sédimentaires.

Une étude rendue en 2019 sur l’optimisation des performances des réseaux d’eau de l’Agglo de Brive indiquait dans ses conclusions des capacités de production à horizon 2035 assurant largement les besoins moyens et de pointe. Cependant la sécheresse de 2019 a induit des problématiques de prélèvement sur la Vézère ainsi qu’une baisse inédite du niveau d’eau du Barrage de la Couze (alimenté par La Couze et Le Biou). La collectivité a alors dû tenir compte de ce risque de sécheresse et de manque d’eau en période estivale, mettant à mal la situation plutôt favorable qu’avait connu jusqu’alors le territoire. Dans cette logique, la collectivité a fait le choix de repenser les fondements de son contrat de Délégation de service public à l’aune de la rareté croissante de la ressource en mettant en avant des objectifs de performance reposant en partie sur une baisse de la demande.

Face aux tensions observées sur la ressource disponible, l’Agglo de Brive s’est donné deux contraintes pour concevoir la future concession :

  • éviter une rémunération du concessionnaire uniquement proportionnelle aux ventes d’eau, susceptible de l’inciter à augmenter ses livraisons d’eau afin d’améliorer son chiffre d’affaires,
  • préserver les ressources en eau du territoire en réduisant le prélèvement sur la ressource.

Solutions et résultats

L’Agglo de Brive s’est inspirée en cela du contrat d’objectif 2015-2020 d’Eau de Paris et la formule finale est le fruit d’un travail collaboratif soigné mené par les services et les assistants à maîtrise d’ouvrage.

Elle consiste à instaurer un ticket d’entrée annuel remboursable de 500 000€, correspondant au montant de la redevance d’usage, pendant la durée de la concession en fonction de l’atteinte de certains objectifs (voir tableau ci-dessous). Le marché public de concession inclut alors des paramètres de performance mesurables, liberté étant laissée aux candidats de choisir les modalités pour atteindre ces objectifs. Quatorze paramètres mesurables et vérifiables sont retenus, dont 8 concernent directement l’eau potable et 3 sont communs avec l’assainissement, avec application de BONUS et/ou de MALUS.

Chaque indicateur est adopté avec une référence initiale et une méthode de calcul. Le concessionnaire fournit chaque année une note de bilan qui est ensuite discutée avec les services pour décider des boni/mali de l’année.
Le concessionnaire paye une redevance d’usage classique de 500 000 €. Au mieux, il a récupère en totalité, en cumulant l’ensemble des boni.
Ce dispositif fonctionne en tout ou rien, sauf pour l’examen du critère concernant les délais de réponse aux demandes des usagers.

Le marché public comporte classiquement une clause de renouvellement des compteurs. L’objectif est qu’en fin de contrat (2028), aucun des compteurs des abonnés n’ait plus de 22 ans.

Les actions mises en œuvre

Dans la proposition technique et financière retenue par l’Agglo de Brive, le concessionnaire retenu répartit l’objectif de baisse des prélèvements (de 8,05 à 6,36 Mm3/an en 7 ans : cf. tableau) entre :

  • 12,7 % de réduction « avant compteur », à obtenir en améliorant les performances des réseaux et des process de production et de traitement des eaux,
  • 8,3 % « après compteur », du côté des usagers, en les amenant à engager des économies d’eau.

Objectifs annualisés d’économie d’eau

Un état zéro patrimonial contradictoire est réalisé par les contractants sortant et arrivant et un suivi rigoureux est mis en place par les services.

Concernant l’option « télérelève » retenue, le concessionnaire a fait le choix de positionner des têtes émettrices sur les compteurs compatibles plutôt que de changer l’intégralité du parc compteur. Cette option « télérelève » nécessite d’investir dans un réseau de communication en plus des têtes émettrices. Il s’agit d’un bien de retour, qui sera restitué à l’Agglo de Brive en fin de contrat moyennant le versement d’une soulte.

L’offre du concessionnaire retenu inclut également l’installation d’un centre de pilotage à Brive et le déploiement de plusieurs logiciels dédiés.

La réduction des volumes après compteur est une composante importante du résultat recherché. En complément du déploiement massif de la télérelève, un changement des pratiques de consommation d’eau est recherché.

Pour cette seconde composante, le concessionnaire SUEZ choisit d’être accompagné par son Centre d’expertise et d’innovation de recherche, le LyRE, basé à Bordeaux, à travers le projet DEM’Eau (pour démonstrateurs d’économies d’eau, cf. ci-dessous) co-financé par l’agence de l’eau Adour Garonne et le groupe Suez (50-50).

DEM’Eau : un projet de recherche appliquée en sciences humaines, sociales et comportementales

Le projet DEM’Eau est une approche en trois temps (comprendre, agir, évaluer) qui vise à capitaliser l’expérience de Brive et plus précisément à évaluer à grande échelle, de façon qualitative et quantitative, le potentiel d’économies d’eau de diverses solutions auprès d’usagers domestiques sur le territoire du service de l’eau. Le dispositif exploite l’historique des consommations croisé avec une vaste enquête sociologique permettant de segmenter les catégories de consommateurs, caractériser les usages de l’eau et proposer des leviers motivationnels d’économies d’eau.

Des panels d’usagers sont définis (grâce à une randomisation contrôlée sur quelques paramètres), et dotés progressivement d’outils. Ils bénéficient d’un accompagnement pour changer leurs pratiques de consommations. Ce projet conduira à une évaluation qualitative et quantitative des différentes actions engagées.

Première phase : Capitaliser les connaissances

  • Analyse des consommations historiques corrélées aux données socio-démographiques
  • Enquête socio-démographique sur les usages de l’eau (26 000 questionnaires)
  • Diffusion des résultats de l’enquête

Deuxième phase : Tester, par panel, les dispositifs d’économies d’eau, en exploitant les leviers.projet DEM'EAU

  • Kits hydro-économes
  • Kits nudge : la chorégraphie de la douche
  • Pommeaux hydrao (couleur fonction de la durée) à retirer après mailing
  • Pommeaux hydrao (couleur fonction de la durée) distribués et posés avec les ambassadeurs de l’eau
  • Application digitale de suivi de la conso et d’alerte liée à la télérelève (cf. exemples de dispositifs)
  • Logements sociaux : médiation à domicile et en pied d’immeuble, kits hydro-économes,
  • Cumul de tous les dispositifs

Exemples de dispositifs mis en place avec DEM’Eau :

Le projet DEM’Eau, basé sur les sciences comportementales, vise également à :

  • Comparer les solutions hydro-économes existantes
  • Construire un référentiel de consommation d’eau domestique
  • Définir un protocole d’évaluation qualitatif et quantitatif de l’impact des actions testées
  • Mettre en œuvre et suivre le déploiement des actions sur les sites pilotes choisis équipés en télérelève des compteurs d’eau
  • Évaluer l’impact des « packages d’action » et leur rapport coût difficulté / acceptabilité / efficacité

Le projet DEM’Eau a été récompensé en 2023 par un Trophée des économies d’eau décerné par le Club des économies d’eau piloté par la Fédération Nationale des Collectivités Concédantes et en Régie (FNCCR).

Quelques résultats préliminaires de DEM’Eau

En 2021, la consommation annuelle médiane des ménages est de 73 m3, mais 1668 ménages ont une consommation très importante (>200 m3) représentant 9% des volumes totaux.

Le croisement des données de consommation d’eau annuelle avec les résultats de l’enquête sociologique menée sur le territoire permet de dire qu’une personne supplémentaire dans un ménage accroît la consommation de 20m3 annuels en moyenne. La possession d’un jardin est corrélée à un surcroît de consommation annuelle de 6 m3, et 22 m3 pour une piscine.
Un usager sur deux pense que la ressource en eau est abondante. Ceci est corrélé à une surconsommation d’eau de l’ordre de 5 m3/an. 50% des usagers ignorent la provenance de l’eau, et autant ne sont pas équipés de matériels hydro-économe. Près d’un quart affirme récupérer l’eau froide du début de douche ou de rinçage des légumes, mais 60% prennent des douches de plus de 5 minutes.

Aspects économiques

L’accès à la DSP est assorti d’un ticket d’entrée de 500 k€. Celui-ci est décomposé en 14 forfaits correspondant aux 14 paramètres de suivi du marché (cf. tableau du §3). Le délégataire peut récupérer chaque forfait au fur et à mesure que l’objectif du paramètre correspondant est atteint.

L’opérateur retenu prévoit dans son offre plus de 6 millions d’euros d’investissements concessifs pour atteindre la performance demandée. Certaines de ces actions sont financées par l’Agence de l’Eau dans le cadre de son 11ème programme d’intervention.

À la différence d’une concession, le renouvellement des infrastructures, en particulier des canalisations, reste financièrement à la charge de la collectivité.

Le coût global du projet DEM’Eau s’élève à 743 k€ :

  • 629 k€ pour la partie étude, mise en œuvre des dispositifs auprès des panels et évaluation d’impact,
  • 114 k€ consacrés à la communication sur le projet et ses résultats.

L’agence de l’eau finance ce projet à hauteur de 50% (étude et communication).

La collectivité a conçu ce contrat « à tarif constant » car l’objectif des élus de l’Agglo de Brive était de ne pas augmenter le prix de l’eau. la crise du COVID et la guerre en Ukraine ont induit une hausse des coûts d’exploitation nécessitant un avenant contractuel non substantiel économiquement, qui n’a eu qu’un impact marginal sur les tarifs.

Limites et difficultés rencontrées

L’offre de SUEZ inclut l’installation d’un centre de pilotage à Brive et l’utilisation du référentiel Net Public Score (NPS). Même avec cet outil, la « satisfaction des usagers », critère pesant fortement dans l’attribution du marché, est difficile à mesurer.

La complexité de ce type de relations contractuelles nécessite un accompagnement solide pour la réflexion préalable sur les aspects juridiques, financiers et techniques.

La courte durée du contrat ne permet pas de prendre en compte les évolutions climatiques, et en particulier leur impact futur sur les ressources, que ceux-ci soient quantitatifs ou qualitatifs (besoin de renforcer dans l’avenir les traitements d’une eau plus polluée). Les études et investissements nécessaires restent du ressort de la collectivité.

Ils l’ont fait, ils en parlent

La mise au point du contrat est une étape longue qui doit être bien anticipée. Il faut compter trois ans de travail préalable. Il est indispensable de recourir à des assistants à maîtrise d’ouvrage pour travailler avec les équipes locales sur ce sujet. Le projet a été adopté par le bureau des Vices Présidents de l’Agglo de Brive, puis par le bureau des maires, et enfin par le conseil communautaire. Une fois le contrat passé avec Suez, le travail s’est poursuivi pour rendre opérationnels les indicateurs et objectifs retenus.
Il est important de suivre de près la mise en œuvre effective des clauses du contrat par le délégataire. Celui-ci nous rend compte deux fois par an des résultats obtenus.
Aujourd’hui nous constatons que le rythme de réduction des prélèvement suit d’assez près l’objectif initial. 

Alain LAPACHERIE, Maire de St Pantaléon de Larchee, délégué à l'eau potable pour l'Agglo de Brive.

Le chiffre d’affaires du contrat est de 12 millions d’euros. La phase de réflexion préalable devait faire émerger une solution incitative mais pas pénalisante. À cet égard, un montant annuel en jeu de 0,5 millions d’euros a semblé être adapté. Un montant plus élevé aurait augmenté la prise de risque qui se serait répercutée sur le prix de l’eau. Suez a pris le pari de satisfaire les critères à 100%.
Il faut anticiper le contrôle et le suivi car le travail ne s’arrête pas une fois le contrat signé. Il faut exiger des remontées de données précises et régulières pour vérifier le respect du contrat, en fréquence, contenu, précision.
Enfin il est important d’instaurer un climat de collaboration soigné entre le concessionnaire et les services techniques, car cela contribue à une amélioration continue de la mise en œuvre du contrat.

Hélène MOULINIER – Directrice adjointe protection de la ressource en eau

« Le retour d’expérience du projet DEM’Eau débouche sur 5 recommandations :
• Nécessité de bien connaître le territoire, ses consommations, ses usagers avant de s’engager dans un plan d’actions,
• La mobilisation citoyenne et territoriale facilite la compréhension et l’adoption de ces démarches,
• Combiner des leviers techniques et leviers socio-comportementaux devient une évidence pour accompagner les transitions écologiques,
• Prendre le temps de l’analyse pour mesurer le chemin parcouru et revenir vers les usagers,
• Penser et anticiper le coût et l’impact des actions de sobriété des consommations sur l’équilibre économique du service de l’eau. »

Laetitia Couderc, Cheffe de projet Économie d'eau au LyRE, Centre d'Innovation SUEZ

Contacts

Dominique VIALLE – Agglo de Brive
Hélène MOULINIER – Directrice adjointe protection de la ressource en eau
Laetitia COUDERC – Centre d’innovation & d’expertise Suez Le LyRE

Dernière modification le 11/12/2024

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