Aide au paiement de la facture d’eau à Grenoble
2024 | FICHE, RETOUR D’EXPÉRIENCE
Résumé
En réponse à la loi Brottes de 2013, Grenoble Alpes Métropole (GAM) expérimente depuis plusieurs années une tarification sociale de l’eau. La métropole, qui gère l’eau potable pour 49 communes, souhaite ainsi réduire la précarité hydrique, fixée à un seuil de 3 % du revenu des ménages pour leurs dépenses d’eau. Grenoble Alpes Métropole a ainsi opté pour un système automatisé et simplifié. En 2019, 9 076 ménages ont bénéficié du dispositif, et 22 000 en 2023. Les coûts de gestion sont relativement faibles grâce au partenariat avec la CAF.
Contexte
La loi Brottes (2013) a permis une expérimentation de la tarification sociale de l’eau, autorisant 50 collectivités en France à tester un dispositif. Grenoble Alpes Métropole est une collectivité regroupant 49 communes pour 450 000 habitants. Elle exerce la compétence eau potable depuis 2015 et a souhaité, en réponse à cette loi, lancer une expérimentation reposant sur une aide au paiement de la facture d’eau. Ce dispositif mis en place en 2019 a accompagné l’harmonisation des prix de l’eau, concomitante des transferts de la compétence eau potable vers l’agglomération.
Sur la Métropole, 70 % des ménages ont un compteur individualisé, mais ce taux peut descendre à moins de 50 % dans certaines communes plus concernées par l’habitat collectif. Le taux de pauvreté (part des personnes gagnant moins que 60 % du revenu disponible médian français) varie de 3,1 à 18 % selon les communes. Le Fonds de Solidarité Logement (FSL) a connu, en 2018, 955 demandes d’aide au paiement de factures d’eau pour un montant de 286 k€.
Problématique et objectifs
Grenoble Alpes Métropole s’est fixé un seuil de précarité hydrique de 3 %. Les foyers dont la facture d’eau excède 3 % des revenus sont considérés en précarité hydrique et M. Ferrari, maire de Pont de Claix et président de la métropole, a souhaité pouvoir traiter ces situations. L’aide au paiement de la facture d’eau est une approche sociale pouvant être envisagée pour éviter les impayés sur la facture d’eau. Cependant elle peut générer d’importants coûts de gestion.
Grenoble Alpes Métropole a souhaité instaurer un dispositif déconnecté de la facture d’eau et ajusté à la taille des foyers. La métropole s’est orientée vers une aide au paiement de la facture d’eau, dans un programme global comportant 4 axes :
- AXE 1 : Des actions préventives d’aide à la maîtrise des consommations
- AXE 2 : Une allocation eau versée aux ménages précaires
- AXE 3 : Des aides curatives en cas d’impayés (généralisant le Fonds de Solidarité Logement).
- AXE 4 : Renforcer pour les plus démunis les dispositifs d’accès à l’eau
Les difficultés essentielles dans l’instauration d’un tel système sont :
- la définition équitable des bénéficiaires (et son corollaire, l’exclusion des non-bénéficiaires),
- leur identification rigoureuse,
- la gestion administrative des dossiers,
- les modalités de paiement.
Solutions et résultats pour l’AXE 2 : Allocation eau
La Métropole pré-identifie les bénéficiaires potentiels du système selon deux conditions :
- Condition 1 : être allocataire de la CAF
- Condition 2 : habiter une des 49 communes de GAM
22 000 bénéficiaires environ sont aidés en 2023. Sont bénéficiaires les personnes qui payent directement leur eau, ainsi que les locataires qui la payent indirectement à travers leurs charges locatives. Parmi les étudiants, seuls les boursiers ont été intégrés au dispositif (en 2023). En revanche, les seniors dont le minimum vieillesse est de 953€ (2023) ne sont pas aidés car leur facture d’eau théorique ne représente pas plus de 3% de ce revenu.
Il faut enfin noter que les personnes seules « hors CAF » modestes restent très difficiles à identifier.
Le calcul de l’aide financière repose sur trois critères :
- le revenu du ménage (données de la Caisse d’Allocation Familiale – CAF)
- le nombre de personnes au foyer (données également transmises par la CAF)
- le tarif de l’eau de la commune de résidence. En effet, les tarifs d’eau des anciens distributeurs (communes ou syndicats), réunis en 2015 au sein de la métropole, n’étaient pas encore entièrement harmonisés, même si un règlement unique du service public d’eau potable a rapidement été adopté (janvier 2016). Cette harmonisation est désormais acquise depuis le 1er janvier 2022.
La Métropole procède à une analyse de la dispersion des revenus par taille de ménage et par commune (données INSEE), et examine avec les grilles tarifaires les factures types par taille de ménage et par commune. Cela permet d’identifier les ménages précaires pour lesquels la facture d’eau type dépasse 3 % des revenus.
- Dans cette analyse, la facture d’eau correspond aux parts eau et assainissement, plus la redevance agence de l’eau et la TVA.
- Les revenus considérés sont les revenus déclarés aux impôts et connus de la CAF. Ils incluent les minimas sociaux : RSA (599€ en 2022) et prime d’activité adossée à ce dernier. Pour les bénéficiaires de ces minimas, un reste à vivre de 7€ par personne et par jour est défalqué pour évaluer le revenu mobilisable pour les dépenses récurrentes (logement, énergie, eau…). .
Le volume d’eau est forfaitisé pour chaque foyer concerné : un volume de 40 m3 est compté pour la première personne, 30 m3 pour la seconde, 30 m3 pour la troisième, et 20 m3 pour les suivantes (valeurs résultant d’un ajustement à la baisse en 2023 pour mieux correspondre à la réalité des consommations). Le montant de la facture calculée est croisé avec les revenus. L’aide se déclenche dès que la facture représente plus de 3 % du revenu. L’aide est versée directement par virement bancaire.
Elle est égale au montant du dépassement de la facture d’eau au-delà des 3 % des revenus mobilisables pour les dépenses récurrentes. Le dispositif initial concernait environ 10 000 foyers (67€ d’aide moyenne). Son amélioration en 2023 (étudiants, reste à vivre de 7€, nouveaux volumes forfaitaires…) a conduit à atteindre 22 000 bénéficiaires pour 33€ d’aide moyenne.
-> Le paiement via la facture avec des tarifs sociaux : 50 % des ménages précaires n’ont pas de facture (ex. : habitat collectif) ; par ailleurs, 46 grilles tarifaires subsistaient sur la Métropole (la convergence tarifaire est maintenant achevée depuis le 1er janvier 2022), ce qui nécessitait 46 paramétrages tarifaires. Par ailleurs, le croisement des données sociales de la CAF avec la base des abonnés du service de l’eau potable est très fastidieux et parfois infructueux, car les enregistrements ne sont pas toujours concordants.
-> Un chèque eau pour payer la facture : 50% des ménages précaires n’ont pas de facture. C’est le bailleur social qui paye l’eau et devrait alors recevoir le chèque eau. Le coût d’émission du chèque est significatif et son usage peut interloquer certains (recevoir un chèque pour le rendre ?), voire en rebuter (complexité du dispositif). Enfin, il faut noter que 80 % des ménages précaires payent effectivement leur facture d’eau.
-> Une démarche individuelle de demande d’aide : là encore, la complexité peut en rebuter certains, avec de surcroît une éventuelle peur du contrôle et/ou du qu’en-dira-t-on.
CONCLUSION
C’est un dispositif automatisé qui a été retenu, avec un paiement par virement bancaire à 22 000 bénéficiaires. Moins de 2% des virements connaissent un échec (comptes clôturés, décès, changements de compte non signalés, étudiant en fin de parcours).
Le système mis en place repose sur un partenariat avec la CAF, ce qui constitue le point central du dispositif.
- La CAF fournit les données (liste des allocataires et ressources, coordonnées bancaires…)
- L’analyse, le calcul et le pilotage de l’aide sont réalisés directement par la Métropole.
- La Société Publique Locale de l’Eau de Grenoble Alpes se charge de la diffusion du courrier d’information de GAM aux allocataires et du virement.
L’aide n’est pas défalquée de la facture d’eau, mais virée à part.
Une convention spécifique avec la CAF a été négociée en 2022, en dérogation à la convention proposée au niveau national par la Caisse Nationale des Allocations Familiales. Suite aux premières années d’expérimentation, cette convention visait à limiter les échanges de données et le travail pour la CAF tout en permettant de détecter efficacement tous les bénéficiaires potentiels.
9076 ménages ont pu bénéficier de l’allocation eau en 2019.
Aspects économiques
Le coût total du programme pour la collectivité est passé de 523 k€ en 2019 à 832 k€ en 2023.
Le dispositif a fonctionné sans hausse corrélative du prix de l’eau : il est financé par le budget général de la Métropole (33 %), celui de l’eau (33 %) et celui de l’assainissement (33 %).
Le coût total du dispositif de solidarité est inférieur à 1% du budget de l’eau.
Les coûts de gestion de ce dispositif (23 k€/an) restent modestes (moins de 4% des montants versés) :
- Quelques jours de travail par an pour le suivi, dont un jour de bureau d’étude pour les simulations.
- Une convention CAF pour la génération du fichier des bénéficiaires. Initialement indemnisée, cette opération est devenue gratuite dans la dernière convention, qui a ramené le travail d’analyse au sein de la collectivité.
- La transmission du courrier et le versement assuré par la SPL.
- Le déploiement et le suivi de la tarification.
Les aides à l’abonné s’élèvent en moyenne à 33 €/foyer en 2023. Sur la métropole, la facture moyenne de 120 m3 pour un ménage est de 380 €.
Le dispositif permet aux foyers précaires d’échapper aux augmentations du prix de l’eau induites par l’harmonisation des tarifs métropolitains. Cela a donné à la Métropole une marge de manœuvre pour accélérer cette convergence tarifaire.
Solutions pour les autres axes
Solution retenue pour l’AXE 1 :
Action préventive
GAM a passé un marché avec la société coopérative solidaire ULISSE38 qui propose gratuitement un diagnostic chez les abonnés qui le demandent. Il s’agit d’un diagnostic sociotechnique complet (chauffage, eau, énergie) débouchant sur des recommandations d’amélioration et de bonnes pratiques. 11 diagnostics ont été réalisés la première année, conduisant à une économie d’eau moyenne de 32 m3 (100 €) chez les foyers audités. Une vingtaine de diagnostics ont été menés en moyenne les années suivants.
Aspect quantitatif
Un tel dispositif n’a pas vocation à permettre des économies d’eau à l’échelle de la Métropole. Le signal prix n’est pas utilisé ici comme un message de la rareté de l’eau. Cependant, l’opération comporte une sensibilisation auprès des ménages précaires, destinée à les accompagner dans un usage plus sobre de la ressource, leur permettant de réduire leur facture. Pour l’heure, cette sensibilisation associative est restée de portée très limitée (20 diagnostics par an, 350 m3 économisés en 2019), même s’ils ont montré leur efficacité opérationnelle (30% d’économie d’eau en moyenne).
Afin de renforcer l’impact de ce dispositif, les usagers en situation d’impayés depuis plus d’un an et présentant une consommation excessive ont été orientés systématiquement vers l’association en charge des diagnostics par la régie de l’eau.
Solution retenue pour l’Axe 3 :
Aides curatives en cas d’impayés
Les aides curatives en cas de situation d’impayé ont été ajustées, avec une contribution de la Métropole au Fonds de Solidarité pour le Logement à hauteur de 0,21 € par abonné, soit 35 k€ en 2022. Ce fonds s’applique sur les 49 communes de la Métropole. Les impayés ne sont pas dûs qu’au prix de l’eau. Beaucoup découlent de problèmes « structurels » plus larges : non accès aux droits, loyer trop important, passoires énergétiques…
Solution retenue pour l’AXE 4 :
Accès à l’eau des plus démunis
La métropole comporte un point d’eau pour 878 habitants.
Le service de l’eau est régulièrement sollicité par des associations ou des CCAS pour une prise en charge des factures d’eau pour des foyers ou des lieux occupés par des publics fragiles. Par ailleurs, la Métropole accompagne de nombreux projets et associations dans le cadre de sa politique de lutte contre le mal-logement : bidonvilles, sans-abris, squats, accueils de jour et de nuit.
Le dispositif d’allocation eau a été élargi au maximum d’allocataires possibles se trouvant dans une situation de mal-logement, en s’appuyant sur les partenariats tissés par la Métropole (compétente en matière d’habitat), en intégrant aux conventions existantes une clause relative à la facturation de l’eau.
Les associations concernées transmettent à la Régie des éléments notamment sur le nombre de personnes accompagnées (non allocataires CAF). Sur cette base, une aide équivalente à 18 m3 d’eau gratuite par personne et par an sera prise en charge par Grenoble-Alpes Métropole, soit environ 60€/personne et par an. Cette aide sera versée à condition que les consommations d’eau aient été réellement facturées et au prorata de la période de consommation identifiée. En 2023, 420 personnes accompagnées par 5 associations étaient concernées. Cela représente un budget d’environ 25 000 €.
Difficultés rencontrées
Le dispositif est suffisamment automatisé pour ne pas nécessiter d’accompagnement social spécifique. Cependant, GAM a passé un marché avec la société coopérative solidaire ULISSE38 qui propose gratuitement un diagnostic débouchant sur des recommandations d’amélioration et de bonnes pratiques.
La mission de diagnostic confiée à ULISSE38 donne satisfaction et GAM souhaite maintenir le dispositif en l’améliorant, avec plus d’équité. En particulier, une réflexion est engagée pour mieux tenir compte de certaines situations, par exemple celle des retraités qui ne sont pas allocataires de la CAF, mais qui connaissent, pour certains, une réelle précarité hydrique.
Ils l’ont fait, ils en parlent
« Cette mandature est arrivée en 2015, et a prolongé une réflexion sur la tarification sociale dans la suite des transferts de compétence eau potable qui a nécessité une harmonisation du prix de l’eau. L’objectif était bien la tarification sociale, et pas les économies d’eau. Nous avons cherché un dispositif facile et efficace. Il fallait être « au bon endroit au bon moment » pour l’usager précaire, et qu’il n’ait rien à faire, grâce au partenariat avec la CAF. Il fallait éviter d’avoir à le solliciter, éviter l’encaissement d’un chèque, ou éviter des démarches en plus de son quotidien. Le partenariat mis en place débouche sur un virement automatique. Grenoble Alpes Métropole a mis en place une tarification sociale forte qui entérine le droit et l’accès à l’eau. »
Contact
Nicolas Perrin,
directeur du département de l’eau.
Ce document a été réalisé avec l’aide financière de :


