Économiser l’eau grâce au goutte-à-goutte enterré sur maïs

AGRICULTUREIRRIGATION

Un essai d’irrigation par goutte-à-goutte enterré sur maïs est suivi, depuis 2012, sur une exploitation à Villeneuve-de-Marsan dans l’objectif d’évaluer l’efficacité de ce système et les économies d’eau potentiellement réalisables, en comparaison avec une irrigation classique par aspersion sous pivot, dans un bassin versant déficitaire. La parcelle irriguée par un système d’irrigation localisée reçoit moins d’eau que la parcelle témoin pour un rendement équivalent. Ces économies ont été évaluées à 21% en moyenne par an (48 mm).

Contexte


Figure 1 : Champ de maïs (Pixabay).

 

Dans un contexte de bassin versant déficitaire, le goutte-à-goutte enterré peut s’avérer une solution d’adaptation au manque d’eau. Peu développé en plein champ en France, notamment du fait des contraintes culturales qu’il engendre et de son coût, les recherches et essais réalisés jusqu’à présent ont permis de montrer qu’il permettait une économie d’énergie et d’eau non négligeable sans perte de rendement.

Sur les territoires où l’adaptation et l’atténuation des effets du changement climatique deviennent des enjeux majeurs, ce système d’irrigation localisée pourrait être une des clés pour allier réduction de la pression sur les ressources en eau et pérennisation des surfaces irriguées et donc de l’activité agricole.

Problématique et objectifs

L’objectif de cet essai est de tester l’efficacité du goutte-à-goutte enterré pour irriguer une parcelle de maïs, mais aussi d’évaluer les économies d’eau potentiellement réalisables, en comparaison avec un système classique d’aspersion sur une parcelle attenante de 8.5 ha, sur le bassin versant du Midou.

Cette modernisation du système d’irrigation est couplée à un pilotage de l’irrigation afin de répondre aux besoins réels de la culture en place et garantir un rendement identique à celui obtenu avec une irrigation sous pivot.

Solutions et résultats


Figure 2: Vue aérienne de la parcelle (Rabe, CA40, 2012-2020).

Pour mener à bien cet essai, la parcelle sélectionnée de 10,1ha, disposant d’un sol sableux, est conduite en semis direct. Elle a été découpée en deux modalités, 8.80 ha constituant la parcelle témoin irriguée par aspersion (pivot) et les 1.3ha restant qui ont été équipés d’un dispositif de goutte-à-goutte enterré (figure 2).

Afin de mesurer et comparer les doses d’irrigation apportées, la teneur en eau du sol et le rendement, chaque parcelle a été équipée d’un compteur volumétrique et du même dispositif de suivi de l’état hydrique du sol (six tensiomètres, trois à 30 cm et trois à 60cm de profondeur, -installés entre deux gaines et des télétransmetteurs GSM). Deux pluviomètres complètent l’installation : l’un sur la parcelle irriguée par le pivot pour contrôler les apports en eau d’irrigation et le second, en bordure de parcelle, pour mesurer la pluviométrie.

L’eau utilisée pour l’irrigation provient du réseau collectif de l’ASA de Saint-Cricq-Villeneuve qui pompe dans la rivière Midou.

Cet essai a démarré en 2012 et un bilan des économies d’eau réalisées et de la variation de rendement entre les deux modalités est réalisé chaque année depuis cette date. La figure 3, ci-dessous, en présente les principaux résultats.

Figure 3: Apport d’irrigation, pourcentage d’économie d’eau par rapport au pivot, évapotranspiration et rendement sur les campagnes culturales 2012 à 2020, GGE : Goutte-à-goutte enterré (Rabe, CA40, 2012-2020 ; Serra-Wittling et Molle, 2020).

Globalement, la parcelle irriguée au goutte-à-goutte enterré reçoit moins d’eau que la parcelle témoin, respectivement 185mm contre 233mm en moyenne. Le système en goutte à goutte permet une économie d’eau de 21 % par an (48 mm). Cette économie d’eau est assez variable d’une année sur l’autre, entre 16 et 31%.

Figure 4 : Zoom sur le dispositif de goutte-à-goutte enterré utilisé.

Un autre élément est à noter : l’irrigation au goutte-à-goutte enterré génère moins d’évapotranspiration de surface. En aspersion, la surface du sol est humidifiée et l’évapotranspiration est plus élevée qu’en goutte-à-goutte, pour lequel les remontées capillaires d’eau depuis les goutteurs enterrés vers la surface sont très faibles et n’induisent pas d’évaporation de surface.

Dans un contexte d’augmentation des températures, ce paramètre peut s’avérer très intéressant pour limiter les pertes en eau par évapotranspiration de surface.

Pour finir, ce type de système, nécessitant une pression de service modeste (de 0,6 à 1,5 bar contre 2 à 4 bars pour un pivot) permet également de faire des économies d’énergie. Ainsi, pour la campagne 2012, les économies d’énergie potentiellement réalisables par comparaison entre les deux systèmes d’irrigation ont été évaluée à 33% (Serra-Wittling et Molle, 2020).

Limites et conditions de réussite

Pour que son installation de goutte-à-goutte enterré soit efficace et pérenne, plusieurs conditions sont à respecter. En effet, on ne peut pas équiper une parcelle en goutte-à-goutte enterré comme on équiperait une parcelle en goutte-à-goutte de surface.


Figure 5: Implantation de goutte-à-goutte avec sous-soleur (Rabe, CA40, 2012-2020).

Ainsi, la conception du réseau, le choix du système de filtration et des goutteurs (nature et technologie) doivent être réfléchis et adaptés à la parcelle et à la nature de l’eau qui sera utilisée pour irriguer afin de faciliter la maintenance et prévenir les problèmes de colmatage. La pression et le débit nécessaire doivent, quant à eux, être évalués au plus juste. À noter que, si le système est mal conçu dès le départ, ceci est difficilement modifiable par la suite. Il est donc très important de se faire accompagner lors de cette phase de conception. Le temps de travail nécessaire à la phase d’installation ne doit également pas être négligé. Sur l’exploitation de M. Cabe, le goutte-à-goutte enterré a été implanté à l’aide d’un sous-soleur et il a fallu 2 heures par hectare à raison de 4 gaines installées en même-temps (figure 5).

D’autre part, ce type de système n’est pas adaptée à toute nature d’eau d’irrigation. Ainsi, une eau trop chargée, trop calcaire favorise le risque de colmatage. Toutefois, celui-ci peut être limité par un système de filtration adapté et un traitement curatif de fin de saison (injection d’acide). Les purges régulières, une fois par semaine environ élimine le colmatage des limons. Les eaux ferrugineuses sont, elles, incompatibles avec un système de goutte-à-goutte enterré. Par ailleurs, il est important de prendre en compte que la présence d’un tel dispositif dans le sol complique le travail du sol et empêche un décompactage en profondeur. Les gaines, espacées d’un mètre les unes des autres, sont implantées à 33 cm de profondeur, et nécessitent donc l’application de nouvelles pratiques culturales. Ainsi il est interdit de pénétrer sur la parcelle en condition humide, que ce soit pour semer, traiter, récolter. Cela rend incompatible les productions contractuelles de plein champ qui nécessitent d’être récoltées à la date de maturité visée (maïs doux, haricot vert, petits pois /carotte). Pour finir, les différentes études et expérimentations ont montré qu’il devait impérativement être couplé au pilotage de l’irrigation pour permettre de réaliser des économies d’eau (Fractionnement de l’apport journalier, une dose de 1.2 mm toute les 8h).

Tableau 1 : Principaux avantages et inconvénients des différents systèmes d’irrigation testés.

Aspects économiques

L’investissement financier correspondant à ce type d’installation est conséquent et constitut un des principaux freins au développement de cette technique en agriculture de plein champ. En effet, un système de goutte-à-goutte enterré coûte deux fois plus cher à l’hectare qu’un système classique avec pivot. Pour exemple, dans le cas de cet essai, le coût global de l’installation (matériel et pose) a été estimé à 4920€/ha (Rabe, CA40, 2012-2020), sachant qu’un pivot coûte entre 2000 et 2500€/ha suivant le modèle. Ce coût peut être en partie amorti par les économies en eau, en énergie et en temps humain que ce système d’irrigation permet de réaliser.

Ils l’ont fait, ils en parlent

  • Quels sont les avantages et les inconvénients de l’irrigation par goutte-à-goutte enterré ?

« Les deux plus gros inconvénients de ce système sont le coût d’investissement et le travail du sol. En effet, un système d’irrigation au goutte-à-goutte enterré coûte plus cher qu’un pivot et rend le labour impossible. En revanche, son installation simplifie au quotidien la gestion de l’irrigation et permet de gagner du temps, en excluant bien-sûr le temps nécessaire à son installation. A cela s’ajoute, lorsqu’il est couplé à l’utilisation de sondes de suivi de l’état hydrique du sol pour le pilotage, une économie d’eau non négligeable tout en maintenant un rendement quasi-équivalent à celui obtenu pour une irrigation classique. Pour finir, M. Cabe et le conseiller de la Chambre d’agriculture, se sont aperçus qu’il était possible, grâce à ce système, de réduire le désherbage chimique. En effet, les adventices ne regerment pas puisque le sol n’est pas humidifié en surface. »

  • Au vu des résultats, souhaitez-vous développer ce système d’irrigation sur votre exploitation ? 

« Bien que présentant de nombreux bénéfices en termes techniques et de temps de travail, le coût d’investissement est encore trop important pour le déployer sur d’autres parcelles. Avec le travail du sol, cet aspect constitue le plus gros frein au développement de cette technique d’irrigation en agriculture de plein champ. »

  • Quels conseils donneriez-vous à un exploitant qui souhaiterait mettre en place du goutte-à-goutte enterré sur ses parcelles ?

« Les phases de conception et d’installation sont les étapes primordiales qui conditionnent la réussite de ce type de système d’irrigation. Il est important d’être accompagné par le bon professionnel qui vous aidera à calculer la pression et le débit nécessaire, évaluer la faisabilité de votre projet en fonction des spécificités de vos parcelles et de la nature de l’eau d’irrigation, ainsi qu’élaborer les plans du réseau d’irrigation et choisir le système de filtration et les goutteurs les mieux adaptés. »

 

Bruno Cabé
polyculteur dans le département des Landes, propriétaire de l’exploitation où est réalisé cet essai.

De plus en plus pratiquée dans certains pays d’Europe comme l’Espagne et l’Italie, l’irrigation par goutte-à-goutte enterré en grandes cultures apparaît comme une des réponses aux enjeux de pression sur les ressources en eau. En effet, même si son coût et son impact sur le travail du sol peuvent constituer un obstacle à son développement, les nombreux bénéfices qu’elle confère et notamment les économies d’eau et d’énergie qu’elle permet de réaliser la positionnent comme une solution d’avenir. Toutefois, son intérêt économique et, de ce fait, son déploiement à plus grande échelle sur le territoire, dépend de l’obtention d’une subvention. Cela en ferait alors une alternative concurrentielle pour l’agriculteur lors du renouvellement ou de l’achat d’un nouveau système d’irrigation.

Contacts

Julien Rabe, Conseiller gestion de l’eau
Chambre d’agriculture des Landes
julien.rabe@landes.chambagri.fr

Liens

CRAO, CRANA, 2022. Vidéo « Le goutte à goutte enterré en Grandes Cultures ? « , programme OGAYA.

Rabe J., Chambre d’agriculture des Landes, 2012 à 2020, Essai irrigation par goutte à goutte enterré sur maïs.

Serra-Wittling C. et Molle B., 2020, Potentialités d’économies d’énergie et de main d’œuvre au travers de la modernisation des systèmes d’irrigation.

Serra-Wittling C. et Molle B., 2017. Evaluation des économies d’eau à la parcelle réalisables par la modernisation des systèmes d’irrigation.

 

 

Dernière modification le 02/04/2024

Ce document a été réalisé avec l’aide financière de :

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