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Engager son exploitation dans l’agriculture de conservation des sols

AGRICULTUREPRATIQUES CULTURALES

Alain de Scorraille s’est progressivement engagé dans l’agriculture de conservation des sols (ACS) en réponse aux problématiques d’érosion hydrique rencontrées sur son exploitation. Il a commencé dans les années 2000 par réduire le travail du sol en remplaçant le labour par des techniques culturales simplifiées (TCS). Puis, dans les années 2010 et après avoir constaté que le taux de MO de ses sols n’avait pas augmenté, il a souhaité aller plus loin. Il a ainsi décidé de diversifier sa production et de semer des couverts végétaux hivernaux d’interculture (féverole) associés au semis direct afin de maintenir une couverture permanente sur ses parcelles.

Suite à ces changements de pratiques, il observe aujourd’hui sur ses parcelles une augmentation des nutriments, de la matière organique et des vers de terre, un enracinement plus profond et une meilleure dynamique de l’eau dans le sol. Ainsi, la réserve utile du sol se remplit mieux, rendant l’eau plus facilement accessible pour la plante.

À noter toutefois qu’il n’existe pas de solution unique. C’est un mix de solutions, adaptées selon le contexte pédoclimatique et technique de l’exploitation, dont l’agriculture de conservation des sols fait partie, qui vont permettre d’atteindre les résultats escomptés.

Contexte

Le département du Gers fait partie des départements les plus agricoles de France puisque la surface agricole utile (SAU) représente 73% de la superficie du territoire (Insee, 2018). Du fait de leurs caractéristiques structurelles (pente, pédologie, lithologie, occupation du sol), les sols de ce département sont fortement sensibles à l’érosion hydrique (carte en figure 1). Cette sensibilité est aggravée par certaines pratiques culturales (travail du sol, sols nus lors des épisodes pluvieux les plus érosifs) qui ont tendance à limiter l’infiltration de l’eau et favorisent le ruissellement. Ainsi, lors des fortes pluies, de grandes quantités de terre sont exportées dans les cours d’eau ou se déversent sur les routes.

Ces événements érosifs engendrent des dépenses significatives pour les collectivités qui doivent assurer le nettoyage de la voirie pour garantir la sécurité des usagers. Ils impactent également les surfaces agricoles à moyen et long terme : diminution de la couche arable, lessivage et entraînement des éléments nutritifs, perte de matière organique…

Plusieurs méthodes existent pour lutter contre ce phénomène. L’Agriculture de conservation des sols (ACS) en fait partie. Elle consiste à combiner (i) diversification des cultures (dans l’espace et dans le temps), (ii) réduction forte (voire suppression) du travail du sol et (iii) maximisation du temps de couverture du sol (par un couvert vivant ou des résidus de culture).

Figure 1 : Cartographie de la sensibilité des sols à l’érosion hydrique dans le département du Gers (SACCHIERO, 2020).

Problématique et objectifs

Dès son installation en 1996, Alain de Scorraille a été confronté à des phénomènes d’érosion sur les parcelles de son exploitation. Pour limiter ce phénomène, il a d’abord mobilisé le levier agronomique de réduction du travail du sol (également appelé techniques culturales simplifiées), puis, constatant que ce levier n’était pas suffisant pour améliorer la fertilité globale de ses sols, en lui associant dans un second temps le levier de couverture des sols par des couverts végétaux d’interculture, faisant ainsi évoluer ses systèmes vers l’agriculture de conservation des sols.
Favorisant l’infiltration de l’eau et limitant le ruissellement et donc l’érosion hydrique des sols, ces changements de pratiques améliorent également la qualité du sol (structure, taux de MO) et ont donc un impact sur la réserve utile du sol et l’enracinement des cultures.

Solutions et résultats

Alain de Scorraille s’est installé en 1996 sur une exploitation familiale de 120 hectares qui s’est agrandie à 240 hectares dix ans plus tard lorsqu’il a repris les terres de ses parents. En 1998, un événement érosif de grande ampleur a entraîné une perte de terre importante sur l’une de ses parcelles et lui a fait prendre conscience de la nécessité de modifier ses pratiques. Il a alors décidé de s’orienter progressivement vers l’Agriculture de Conservation des Sols (ACS).

La première étape, au début des années 2000, a consisté à remplacer le labour par des Techniques Culturales Simplifiées (TCS). Il a ainsi réduit la profondeur du travail du sol et a dû investir dans de nouveaux outils.
En 2011, après 10 années de diminution du travail du sol et malgré une meilleure résistance à l’érosion, il s’est aperçu que le taux de matière organique de ses sols n’avait pas augmenté. Il a donc décidé de remettre en question une nouvelle fois ses pratiques culturales et de se tourner vers l’ACS. Avec l’accompagnement de la coopérative Agro d’Oc, il expérimente alors plusieurs types de couverts végétaux sur une partie de son exploitation.

Depuis 2015, la totalité des parcelles de son exploitation sont couvertes de manière permanente, exclusivement avec de la féverole. Ce couvert végétal hivernal d’interculture présente plusieurs avantages : facilité de pousse, fourniture d’azote à la culture suivante, facilité de destruction par roulage lorsqu’on pratique le semis direct. Il sème directement ses cultures de printemps (maïs et soja) dans le couvert hivernal (féverole), qu’il détruit en deux étapes : un roulage pour coucher la végétation, faciliter sa dégradation et permettre une atteinte plus facile des éventuelles graminées présentes sous le couvert par un passage de glyphosate.

Par ailleurs, il a diversifié son assolement avec deux principales rotations : maïs ou soja sur les parcelles irriguées et blé / féverole / orge ou blé / tournesol pour les parcelles en sec. En plus de son rôle de couvert hivernal, l’intégration de féverole dans la rotation permet à l’agriculteur de produire sa propre semence.

Alain de Scorraille suit plusieurs indicateurs de qualité des sols : quantité de phosphore (P) et potassium (K) à 5 et 25 centimètres de profondeur, teneur en matière organique, quantité de vers de terre. Pour chacun de ces indicateurs, il observe des quantités supérieures sur ses parcelles conduites en ACS que sur les parcelles voisines, en conventionnel ou en AB. De plus, il constate des chiffres plus élevés sur ses parcelles irriguées que sur ses parcelles en sec.

Concernant la quantité d’eau utilisée, aucune différence significative n’a été observée depuis le début des changements de pratiques. Ce constat est partagé par l’étude BAG’AGES. Cependant, les pratiques d’ACS modifient la porosité du sol et augmenteront la réserve utile du sol sur le long terme.

Le sol et plus particulièrement sa nature, ses propriétés et son mode de gestion joue un rôle central dans le devenir de l’eau à la parcelle. Dans un contexte de changement climatique marqué par une modification de la répartition des pluies associée à des sècheresses plus fréquentes et plus longues et des évènements pluvieux plus intenses, une meilleure valorisation de l’eau à la parcelle est devenue un des enjeux majeurs des systèmes agricoles actuels.
Des études récentes ont montré que l’agriculture de conservation des sols qui repose sur trois piliers, diversification des cultures, couverture maximale et réduction voire suppression du travail du sol, aurait pour conséquence une modification profonde du fonctionnement hydrique du sol qui se traduirait par un effet positif sur leur capacité de rétention en eau : augmentation sensible de la taille de la réserve utile et surtout meilleure dynamique de recharge de celle-ci, d’où une amélioration de l’efficience de l’eau (Alletto et al., 2021).
Pour plus d’informations, vous pouvez consulter la fiche sur le projet BAG’AGES (Bassin Adour-Garonne, quelles performances des pratiques AGroEcologiques ?)

À noter toutefois que pour atteindre un objectif d’économies d’eau, il n’existe pas une solution unique. C’est un mix de solutions, adaptées selon le contexte pédoclimatique et technique de l’exploitation, dont l’agriculture de conservation des sols fait partie, qui vont permettre d’atteindre les résultats escomptés. D’autres solutions d’adaptation vous sont ainsi présentées dans le centre de ressource de la Plateforme des bonnes pratiques pour l’eau du grand Sud-Ouest.

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Figure 3 : Semis Direct sous couvert végétal (Plateforme Triple performance).

Par Denis VERNET — Own work, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=89189018

Figure 4 : Semis direct sous-couvert végétal (Par Denis VERNET — Own work, CC BY-SA 4.0).

Limites et conditions de réussite

Les changements de pratiques initiés par Alain de Scorraille étaient motivés notamment par l’existence de problème d’érosion sur ses parcelles et sa curiosité pour l’agriculture de conservation des sols.

Depuis plusieurs années, il fait partie d’un Centres d’études techniques agricoles (CETA) qui travaille sur les problématiques liées à la conservation des sols. Selon lui, ces échanges entre agriculteurs sont essentiels pour profiter des retours d’expériences des autres.

Par ailleurs, il suit des conférences de spécialistes sur les thématiques de l’agriculture de conservation des sols ou des vers de terre. Il constate et regrette la faible diffusion des ressources disponibles sur ces sujets. Pourtant, l’ACS est une thématique de plus en plus investiguée par le monde de la recherche et elle présente de nombreux bénéfices : augmentation de la biodiversité, séquestration de carbone, amélioration de la qualité de l’eau et potentiellement augmentation de la réserve utile du sol.
Ces deux considérations doivent motiver le développement de telles pratiques agricoles, et la diffusion plus large des résultats produits et la généralisation des expérimentations en conditions réelles sur des exploitations agricoles.

Plus globalement, l’expérience accumulée par Alain de Scorraille sur les pratiques d’ACS lui permet de dresser un constat des difficultés et avantages qu’il rencontre dans sa mise en œuvre sur son exploitation (tableau 1).

Tableau 1 : Avantages et inconvénients de l’ACS sur l’exploitation d’Alain de Scorraille

Aspects économiques

M. de Scorraille n’a pas bénéficié d’aides financiers pour accompagner son changement de pratique. Les bonnes années de récolte ont fourni à Alain de Scorraille la marge financière nécessaire, lui permettant de prendre le risque de mener des essais sur ses parcelles les années suivantes. Avec les évolutions climatiques (sécheresse estivale, événements extrêmes), politiques (diminution des aides pour son exploitation avec la nouvelle PAC) et réglementaires, il ne dispose plus, à l’heure actuelle, de cette marge de manœuvre pour expérimenter de nouvelles pratiques.

Ils l’ont fait, ils en parlent

« L’agriculture de conservation des sols est très intéressante pour augmenter la productivité des sols (sol plus riches grâce à l’apport des nutriments contenus dans les couverts), ainsi que pour améliorer la circulation de l’eau dans les sols, la réserve utile qui se remplit mieux, et l’enracinement plus en profondeur de la culture.
Pour optimiser ces bienfaits, il est primordial de comprendre le fonctionnement de son sol, et de suivre l’évolution de sa teneur en MO et de sa structure.
L’année 2022 a été particulièrement marquée par des fortes chaleurs et le manque d’eau. Sur certaines parcelles, le couvert n’a pas permis de préserver l’humidité des sols dans la zone de semis, ce qui a entraîné l’échaudage de certaines cultures et des problèmes de levée. Il a donc été nécessaire de semer à nouveau.»

Alain de Scorraille
Polyculteur dans le Gers
Dernière modification le 03/10/2024

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